vendredi 17 octobre 2008

SOS : Sondage ou Stratégie ?

Comprendre à partir du «non-dit»

Les sondages utilisés en milieu et dans les corporations pour sonder le coeur des administrer ou à soupeser l'opinion publique ou celle d'un groupe à propos de dossiers comme par exemple les droits de scolarité dans l'enseignement supérieur au Québec, la gratuité des soins ou le virage à droite sont qualifiés de stratégiques. Ils ont leur utilité dans les périodes de flottement ou de changement de direction pour aider des administrateurs nouvellement arrivés à la tête d'une équipe à connaitre les perceptions des employés vis à vis des gestionnaires et, si les experts estiment que leurs méthodologies sont plutôt défaillantes, ils permettent néanmoins détecter dans le brouillard des perceptions et des rumeurs les indices les plus révélateurs de l'humeur du milieu, pour infirmer ou confirmer certaines hypothèses, pour vérifier les «non-dits» et tâter l'opinion du personnel, tout cela sous le couvert d'un certain anonymat. L'objectif? Vérifier la rumeur ambiante et l'opinion des administrés et éventuellement décider, preuves en mains (?) de légitimer ou de désavouer des pratiques et si possible neutraliser ou sanctionner des actions ou des comportements dépendammment de l'option exprimée.

En fait, un administrateur nouvellement nommé doit faire face à ce défi: comprendre le climat organisationnel afin d'évaluer les performances et les compétences de ses administrés. Or comment mener cette enquête sans avoir l'air de discriminer un groupe par rapport à l'autre? Comment interroger les administrés pour connaître leurs opinions sur le personnel alors que ceux-ci ont été nommés par ceux-là ?
Même s'ils sont loin de représenter correctement l'opinion des gens sondés, le taux des réponses ou des silences est aussi très significatif. La règle du jeu: les mots du sondage sont choisis de façon à ce que les gens n'émettent que des opinions positives (on est dans une équipe, n'est ce pas? Même si l'équipe comprend plus de 300 individus répartis dans des dizaines de catégories d'emplois)

Vérifier les perceptions

C'est pourquoi, comme il s'agit ici de vérifier des perceptions, les sondages stratégiques ont leurs limites. Cependant, cela ne veut pas dire qu'ils ne contiennent pas par le truchement des réponses leur part de vérité. Par exemple, les mots choisis délibérément pour éviter toute connotation négative ne sont pas innocents comme on pourrait le supposer de prime abord. Quand on suggère les mots tels que convivial, sympathique ou compétent, à la pointe, innovateur ou excellent pour définir le milieu de travail, il est clair qu'une réponse comme «convivial» conviendrait mieux à un sympathique club social et que les qualificatifs comme «performant» ou «à la fine pointe» répondraient mieux ça qu'il serait tenu lieu d'attendre d'une organisation de haut savoir.

Le sondage stratégique comme outil de gestion de dernier recours?

Les silences ont aussi leur signification. Le taux d'absentéisme peut être révélateur et peut être interprété de plusieurs façons aussi. Du côté du public, ne pas répondre à ce type de sondage est significatif car cela veut dire qu'on se prête pas au jeu et que l'exercice apparait comme futile. Pour le sondeur, utiliser ce type de sondage pour évaluer le climat de travail ou l'humeur du personnel peut être une arme à double tranchant si le taux de réponses ne dépassent pas disons 1/3 des sondés. Car tous ne sont pas dupes et ce jeu de relation publique risque d'être perçu comme «naif» voire, manipulateur, pour rallier les esprits vers cette vision que «tout le monde est beau, tout le monde est gentil» et se révèler... inefficace et contre-productif. Ce faisant, l'administration perd son temps et fait perdre celui de ses subordonnés. Il risque de nuire à la relation de confiance entre sondeur et sondés.

Conclusion : relire Bourdieu

Il serait intéressant de consulter cette analyse intitulée «Les sondages sont-ils représentatifs? Représentatifs" de qui ? De quoi ? Des sondés, ou de l'intérêt des commanditaires des sondages... !» Dans une conférence prononcée le 16/10/1996, commentant le fameux article de Pierre Bourdieu ("L'opinion publique n'existe pas", Patrick Champagne souligne que la notion soit-disant d'"opinion publique" n'est ni plus ni moins ...qu'un instrument politique, un étendard-caméléon que brandissent les groupes d'intérêts (partis politiques, médias, corporations) en donnant l'impression qu'ils s'y soumettent alors qu'ils participent de façon non négligeable à sa construction dans l'élaboration des questionnaires, le traitement des réponses, et l'exploitation médiatique des "résultats".

Citant Pierre Bourdieu, il rappelle les trois raisons qui expliquent pourquoi ces sondages ne servent finalement que les intérêts de ceux qui les commanditent. D'abord, parce que tout le monde ne possède pas un niveau de connaissance assez élevé pour être capable de se prononcer sur des sujets politiques précis et ensuite parce que que tout le monde n'est pas capable d'émettre une opinion » et qu'« en ce sens toutes les positions, et tous les discours ne se valent pas et enfin parce que tout simplement il faut aussi souligner que toutes les questions n'interpellent pas les individus de la même façon.» Chaque question n'ayant pas la même importance pour tous les individus, il n'y a donc pas d'accord du public sur les questions qui lui sont posées.Voilà ce qui n'aura pas l'heur de plaire aux démagogues qui refuteront cette hypothèse pour son élitisme. N'empêche que jusqu'ici ce sont les sondages qui ont confirmé par leur incapacité de donner les bonnes réponses le bien-fondé de la théorie du célèbre sociologue. Pour finir, les auteurs nous invitent aussi de relire le chapitre de P. Bourdieu, "L'opinion publique n'existe pas" dans Questions de sociologie, publié dans Les Éditions de minuit aux pages 226 et 227.

Publié par © My Loan Duong , MLS McGill