mercredi 11 juillet 2007

Sur la redocumentarisation

Au cours du débat électoral télévisé au printemps 2007 opposant les candidats à la présidence, Nicolas Sarkozi et Ségolène Royal, un échange a porté sur l’âge du réacteur nucléaire ERP. Contredisant son adversaire, Ségolène Royal soutenait qu’il s’agissait de la 3è génération du réacteur. Dans les minutes qui suivirent le débat, un internaute consulte l’article sur le réacteur en question publié sur l’Encyclodédie Wikipédia et constate que des corrections ont été apportées dans le texte. Pour donner raison à son candidat, un partisan de Nicolas Sarkozy a gommé le chiffre 3 pour le remplacer par le chiffre 4 ! S’en suit un chassé-croisé de corrections des partisans des deux bords. Au total : entre la soirée du débat et le lendemain à midi, «l’encyclopédie a connu une cinquantaine de modifications entre mercredi soir et jeudi midi. Deux fois plus qu’en un mois ! ».

Ces faits nous font penser à cet autre cas de redocumentarisation illustré par l’affaire Steigenthaler qui a donné lieu à une poursuite contre Wikipédia pour diffamation en 2005. Ils ont été relatés dans la revue en ligne Écrans par Denis Delbecq. Dans le prolongement de l’affaire EPR évoqué aussi par Olivier Ertzscheid, maitre de conférence à l’Université des sciences sociales de Toulouse, Jean-Michel Salaün, directeur de l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal nous livre sur son blogue ses réflexions sur la notion de la re-documentatisation en le situant dans le contexte de du numérique.

D’abord, qu’entendons-nous par «documentariser»? C’est, selon Jean-Michel Salaün, «ni plus ni moins que le fait de traiter un document», c'est-à-dire le cataloguer, le synthétiser, l’indexer pour le renforcer. L’objectif de la documentarisation est d’optimiser l’usage d’un document afin de permettre un meilleur accès à son contenu et une meilleure mise en contexte. En redocumentarisant un texte, l’usager renforce son utilisation par le réarrangement des contenus sémiotiques. Ce réarrangement couvre deux dimensions. La dimension interne consiste en l’extraction de morceaux musicaux, par exemple, pour les ré-agencer avec d’autres ou encore l’annotation en marge d’un écrit. La dimension externe implique la reconstitution d’un ensemble d’archives ou d’un fonds privé par le reclassement des ressources selon une logique d’associations. Sur le Web, les possibilités de redocumentisation sont décuplés et même les documents traditionnels, retransposés numériquement acquièrent cette plasticité propre aux documents numériques qui leur confère une nouvelle dimension reflétant, pour reprendre J-M Salaün, «une organisation post-moderne de notre rapport avec le monde».

Cependant, souligne J-M Salaün, la redocumentarisation ne constitue pas une rupture même si la transformation du document est telle qu’on peut se demander s’il s’agit toujours de la même entité. Les exemples de redocumentarisation, même déviantes, comme dans les cas mentionnés, montrent que la valeur de preuve intrinsèque à toute ressource reste présente puisque la falsification est retraçable et que les interventions successives peuvent l’enrichir autant qualitativement par l’ajout des sources référencées et que quantitativement par les discussions.

Dans une perspective plus globale, cette évolution de la nature du document s’inscrit dans l’évolution même des techniques de l’écrit et de l’organisation documentaire en relation avec le social. Et si changement de paradigme il y a, il s’inscrit, plutôt dans la continuité des quatre âges de l’imprimé définis par A. Marshall qui sont l'âge du livre (Gutenberg au 19è) suivi par l'âge de la presse (19è) puis l'âge de la paperasse (20è) pour aboutir à cette époque dans laquelle nous évoluons, l’âge des fichiers, dont les figures marquantes sont T. Berners-Lee et T. Nelson

Par My Loan Duong, MLS, Bibliothèque de bibliothéconomie et des sciences de l’information, 22/06/07. Corpo Clip , bulletin n.172 - août 2007 à octobre 2007, p.13



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