jeudi 16 avril 2009

Résumé ... trop sommaire ou Salieri contre Mozart (suite du billet Ni cigale ni fourmi...)



Mozart, de son vivant, avait un rival à la cour, Salieri, qui faisait de la bonne musique mais qui n'arrivait pas à la cheville du génie. Salieri, qui était maître de Chapelle, était le favori de l'empereur, contrairement à Mozart moins apprécié . «Trop de notes» disait l'empereur d'Autriche Joseph ll à propos de certaines oeuvres de Mozart, alors que le public et la population en général faisait un triomphe des créations du virtuose. Mais Salieri, lui, savait que son rival était un génie et que malgré l'amitié de l'empereur, il ne pourrait jamais l'égaler. Cela ne l'empêchait pas de dénigrer ce dernier tout le long de sa vie (ce qui n'était pas trop difficile, Mozart avait des symptômes de ce qu'on pense être de nos jours ceux de la maladie de la Tourette, ce qui le rendait socialement moins acceptable) ...tout en rêvant jusqu'à sa mort de posséder une toute petite parcelle de l'immense talent de son rival.

Dans son éditorial Google, les bibliothèques et la revanche de la cigale sur la fourmi publié dans le bulletin Corpoclip (n.178,janvier-avril 2009) Guylaine Beaudry a résumé en quatre points le programme de numérisation des ouvrages des bibliothèques par Google et l'entente adoptée entre les bibliothèques mandataires:

« 1- les bibliothèques prêtent gracieusement à Google leurs collections pour qu’elles soient numérisées, selon une entente non exclusive. 2- les fichiers appartiennent à Google mais peuvent être utilisés de façon plutôt contraignante par les bibliothèques. 3- Google vend l'accès à ces collections aux individus et aux bibliothèques. 4- Google, les auteurs et les éditeurs se partagent les recettes des ventes. »

En réponse à ce résumé trop sommaire, je dirais:

1. L'entente étant NON exclusive, les bibliothèques gardent leurs droits sur l'exemplaire qu'elles détiennent. Elles peuvent donc éventuellement disposer du fichier et en donner l'accès sur un autre serveur si cela représente une option plus rentable ou avantageux pour elles ou pour les auteurs ou leurs représentants. Où se situe le «vol» de Google sur les ressources? Dans son article Google vs the libraries, Alex Beam indique que des bibliothèques comme celles de l'état de California collaborent non seulement avec Google mais considèrent aussi d'autres alternatives pour donner l'accès le plus large possible aux ressources qu'elles disposent.

2. Les fichiers numérisés par Google sont considérés comme des exemplaires déposés dans la base. A l'instar des ouvrages imprimés acquis par les bibliothèques, la consultation est en effet réservée aux usagers ou abonnés de la base, de la même façon que les usagers qui ont accès aux locaux de l'institution peuvent consulter les ressources classées dans la bibliothèque. Et comme certains documents dans les bibliothèques, pour des questions de rareté ou de fragilité, ceux-ci ne sont consultables que sur place et le droit de consultation est restreint ou même réservé à un certain groupe d'usagers cependant. Ne loue-t-on pas des best sellers achetés sur les fonds publics dans certaines bibliothèques publiques? Dans l'univers numérique, les usagers qui veulent consulter la copie numérisée déposée dans une base doit, et c'est tout à fait normal, doivent demander l'accès au serveur qui détient le fichier numérique.

3. Faux! Google ne vend pas l’accès à ces collections aux individus et aux bibliothèques: Google impose des frais à ceux qui consultent les fichiers qui sont dans sa base. Cette consultation en ligne équivaut absolument à la consultation d'un ouvrage imprimé conservé dans une institution ou tout autre article ou document fourni par une base de données à laquelle l'institution ou l'usager est abonné. Autre point très important pour ceux qui croient à la valeur économique du savoir: ce faisant Google relance les livres épuisés et donne l'occasion aux auteurs et aux éditeurs de de ressuciter les livres en perdition.

4. Sur le mode de persiflage, Mme Beaudry parle des «largesses» de Google. Elle oublie que Google ne détient que le fichier numérisé du livre et non les droits sur le document qui appartiennent toujours à l'auteur ou son représentant dans les cas où ces droits sont encore valides. Comme propriétaire du fichier de l'exemplaire numérisé, il doit le diffuser sur son serveur seulement via les terminaux qu'il dépose dans la ou les institutions qui lui ont permis de numériser l'exemplaire. Il doit respecter aussi les droits d'auteur en ce qui concerne la reproduction des parties de l'ouvrage par les lecteurs. En tant que dépositaire du fichier numérisé, il doit collecter et remettre des redevances sur les impressions qui sont faites au Registre des droits sur les livres. Google affiche à l'écran seulement au maximum 20% des pages d'un livre sous droits et les profits étant partagés entre la compagnie et les auteurs et leurs éditeurs.Google a payé 34,5 millions de dollars US pour créer et gérer un Registre des droits sur les livres* (Books Rights Regystry) qui collecte les revenus de Google pour les redistribuer aux détenteurs de copyright.

Google dans la cour des bibliothèques ?

Cela peut déplaire certains de voir Google venir jouer dans leur cour. Mais la peur est parfois mauvaise conseillère. La gestionnaire qui a émis ces propos est motivée probablement par les meilleures intentions du monde dont celle, entre autres de protéger la fonction «noble» de bibliothécaire. Mais l'esprit corporatiste a ses limites. Si des bibliothèques se sont adressées à Google pour numériser leurs ouvrages, c'est parce qu'elles estiment que cela vaut mieux que de laisser leurs ressources moisir sans lecteur dans leurs sous-sols.

Recourir à la soustraitance est d'ailleurs une pratique assez monnaie courante dans le milieu des bibliothèques. Qu'il s'agisse de catalogage rétrospectif, de mises à jour de gros lots non traités, les bibliothèques ont recours à des organismes extérieurs pour rattraper des retards et faire face à leur manques de ressources. Et n'oublions pas non plus que les bliothèques ne sont pas toutes publiques. Des collections prestigieuses ont été mises sur pied au fil des siècles par des mécènes et des érudits dans des sociétés occidentales et orientales. Et, aussi rappelons-le, dans l'histoire de l'humanité, les bibliothèques privées ont existé bien avant les bibliothèques publiques.

Faire numériser gratuitement les exemplaires de livres par Google permet aux bibliothèques de mettre en valeur leus fonds tout en offrant leur accès au public. D'autre part, les budgets des bibliothèques qu'elles soient publiques, universitaires ou nationales ne leur permettent pas de défrayer les coûts énormes d'une numérisation à l'échelle de Google. La Bibliothèque du Congrès a pu numériser ces ressources patrimoniales grâce à un don de Microsoft de plusieurs dizaines de millions de dollars*. En outre, la plupart des bibliothèques, même dans les sociétés riches, peinent et n'arrivent même pas à se tenir à flot avec les budgets qui rétrécissent. Les bibliothèques universitaires francophones au Québec, par exemple, ont un énorme retard à rattraper en termes d'infrastructure. Les systèmes intégrés de gestion documentaire, les catalogues, les outils de gestion des postes publics, les logiciels utilisés pour gérer les technologies Internet qui datent des débuts des années 2000, sont en retard d'une génération. L'intégration des différents systèmes et des applications est loin d'être faite.

L'idéal serait que tous les exemplaires d'une bibliothèque soient numérisés par celle-ci ou en consortium avec d'autres travaillant dans le même environnement. Par exemple, les bibliothèques universitaires francophones au Quécbec pourraient s'unir et numériser des fonds qu'elles peuvent rendre accessibles aux clientèles de leurs universités. Après tout, elles sont toutes subventionnées par les mêmes fonds publics non? Mais il demeure que quoiqu'il en soit, la mission des bibliothèques reste inchangée: celle consiste à organiser les connaissances et en faciliter l'accès au plus grand nombre de gens possible à l'information et au savoir. Dans le nouvel environnement du livre, l'organisation, la gestion, la diffusion du savoir passent dorénavant par l'accès en ligne. Combien de fonds culturels ont été détruits au cours des siècles par la censure et les ravages des guerres et des désatres naturels ? Combien de contenus ont été oblitérés complètement de la mémoire humaine faute de lecteur? On parle de valeur «économique» de l'oeuvre. Google paie aux détenteurs des droits du livre et 63% des revenus générés par les annonces inclues sur les pages d'aperçu, sur les pages web du livre numérisé ainsi que les renseignements bibliographiques et les résultats de recherche effectués dans le livre.(p.17 de Réglement).

L'esprit de la requête d'avis de la Cour
L'article d'Andrew Albanese dans Library Journal du 26 février 2009 sous le titre Library Organizations To File Amicus Brief in Google Book Search Settlement dit explicitement: aux bibliothèques maintenant de revoir leurs rôles et de s'adapter aux nouvelles règles imposées par le numérique.
À propos de la requête d'avis de la Cour concernant l'accord sur le programme Google Book Search par les trois organismes leaders dans le domaine de l'information et des bibliothèques aux États-Unis dont l'American Library Association (ALA), l'Association of Research Libraries (ARL)et l'Association of College and Research Libraries (ACRL), Prue Adlerle, directeur général de l'ARL , mentionne que la communauté des bibliothèques n'est pas contre l'entente («the library community will not object to or urge rejection of the settlement, but would file a thoughtful brief that urges the court to address library concerns»). La requête d'avis à la Cour déposée par les trois associations de bibliothèques aux É-U, vise davantage à faire part des préoccupations des associations en regard des droits d'auteur et du mode de diffusion des ressources numérisées qu'à contester l'entente. Elle est utile en ce sens qu'elle permet de clarifier la position de chacun et mettre à jour les principes régissant l'accès et la diffusion des ressources numériques, ainsi que le partage équitable des revenus générés par l'exploitation des fichiers numérisés. Pour James Grimmelman, professeur en droit du New York University, un expert en droit de propriété intellectuelle dans l'univers numérique qui a étudié l'accord, cette requête en soi ne serait même pas pertinente car les bibliothèques ne sont pas « parties prenantes » dans l'accord :«Since libraries are not class members, [...] filing an objection isn’t “necessarily the right way to raise the issues [libraries] care about.». Il concède qu'elle est néanmoins utile car elle permet de clarifier les enjeux sur la question entre «amis». D'autre part, pour ces experts,même avec des amendements, nul doute que l'accord des bibliothèques avec Google fera jurispudence

La redistribution des cartes avec l'entrée du WEB 2.0

L'univers du livre s'est transformé avec la dématérialisation du document. En venant jouer dans la cour des bibliothèques. Google a bousculé certaines règles du jeu,comme le WEB 2.0 l'a fait en redistribuant les cartes aux usagers, et on comprend que la plupart des administrateurs de bibliothèques n'aiment pas perdre leurs pouvoirs et leurs prérogatives de continuer de décider ce qui est bon ou pas pour le public ;-). Or l'enjeu réside dans la redéfinition des nouvelles règles du jeu introduites par le nouvel ordre économique défini par l'environnement numérique et non dans les combats d'arrière garde comme ceux qu'essaient de mener la prtésidente de la Corpo et quelques autres administrateurs de bibliothèques..

Le Web 2.0 et les technologies de l'information et des communications ont changé le paysage des bibliothèques. Le monde est devenu un immense village globalisé et les bibliothèques comme « passeurs de culture » sont les premières bénéficaires de la numérisation des fonds grâce à la libération des accès, en dépit des risques énormes que cela peut impliquer pour elles en termes de perte de monopole, ce que craignent les administrateurs des services publics. Car: «[Libraries will] be key beneficiaries of the settlement, but they also recognize the enormous risk that the settlement could pose to access going forward». Mais si elles savent s'en tenir à leur mission fondamentale qui est celle de donner l'accès de leurs fonds au plus grand nombre de personnes possible et mettre l'intérêt du public au delà d'autres considérations, alors elles seront, et la société civile avec elles, gagnantes: « That, combined with their public-interest mission, their engagement with huge sections of the population, their historical attentiveness to these issues, and their profound commitment to intellectual freedom, makes them one of the best voices for the public interest that could be imagined here.» Bref, les bibliothèques ont tout à gagner en permettant la numérisation et la diffusion de leurs avoirs. Les préoccupations du milieu des bibliothèques doivent porter avant tout sur les enjeux comme l'accès à l'information, la protection de la vie privée et la liberté d'expression.

Comme toujours, les changements sociaux précèdent les lois qui, souvent ne font qu'entériner en quelque sorte les pratiques déjà en vigueur. Les impacts de la révolution du numérique qui sont en train de transformer de fonds en comble les modes de production, le modèle d'affaire des institutions et des entreprises ainsi que les façons de penser et de vivre des habitants de cette planète sont aussi grands que les changements provoqués par la transition de la société rurale à la société urbaine au début du 20 è siècle. L'internet ...et Google ont bouleversé les modes de vie, les modes de communication, de gestion, les façons de travailler, de communiquer et bien sûr celles de transmettre le savoir et l'information. Tellement vite que les bibliothèques ont du mal à suivre. Mais les usagers en demandent et ils ont raison. Ils s'étonnent qu'en cette ère d'accès en ligne, de larges pans des collections ne sont pas encore accessibles. Maintenant, à tous, législateurs, administrateurs de bibliothèques, éditeurs, diffuseurs de travailler ensemble pour nul ne soit lèsé dans le partage et la diffusion du bien commun qu'est le savoir et la culture. La moralité ou l'immoralité ne vient pas du fait que Google diffuse avec certaines restrictions les fichiers des oeuvres que des bibliothèques lui ont permis de numériser. Ce qui n'est pas moral c'est que des bibliothèques laissent dormir des fonds qu'elles ont acquises grâce à l'argent et à la générosité des états et des populations sans essayer de trouver et d'utiliser tous les moyens pour les mettre à la disposition du public. Les oeuvres orphelines ** dont regorgent les bibliothèques méritent d'être connues et divulguées. Attention, Google va s'en occuper aussi!

Salieri contre Mozart

Les réalisations des bibliothèques sont immenses au cours des siècles grâce aux fourmis qui travaillent dans les biubliothèques mais Google n'est pas la cigale qui ne faisait que chanter. Le débat est trop complexe pour être résumé par les propos simplistes et démagogiques de Mme Beaudry. Les bibliothèques ont accompli très honorablement la mission que les sociétés leur ont confiée en préservant et en protégeant les connaissances et en donnant l'accès à la culture et au savoir au peuples. Dans le nouvel environnement où l'immatériel côtoie et fait concurrence au matériel, où tout s'accélère à une vitesse exponentielle, le défi des bibliothèques est de continuer à répondre à cette mission et de faire face aux nouveaux enjeux de l'organisation et de la diffusion des ressources numériques. Elles peuvent le faire très bien encore comme certaines le font déjà sans avoir à jeter le blâme sur Google pour justifier leur retard dans la poursuite de leur mandat...et de reconnaître, honnêtement, que Google est une formidable entreprise qui a contribué plus que n'importe quelle autre institution dans sa très courte histoire à faire avancer l'accès à l'information et au savoir.


à lire aussi:
Pour l'accès libre à la connaissance scientifique. Stéphane Couture. Bulletin Alternatives, 2 février 2009
A Guide for the perplexed: Libraries and the Google library project settlement
Qu'est qu'un livre à l'ère du numérique?
Le chant de la fourmi (lamentations montréalaises) de Guy Laflèche

*Les trésors de la Bibliothèque du Congrès passent au numérique par My Loan Duong, Corpo Clip,n.176, août-octobre 2008, p.10
** à lire le plan de mise en valeur des oeuvres orphelines: Google’s Plan for Out-of-Print Books Is Challenged
Alex Beam : Google vs. the libraries, December 2, 2008 : http://www.boston.com/lifestyle/articles/2008/12/02/google_vs_the_libraries/

jeudi 2 avril 2009

Ni cigale ni fourmi, juste Google et ...les autres

«Don't be evil» (Ne soyez pas mauvais). La devise de Google semble s'adresser à ses détracteurs dont l'inquiétude grandit face à ce formidable outil de recherche et de diffusion de l'information qui, en moins dix ans. Avec Google dans le monde de la documentation, les bibliothèques ont compris que leur rôle de gestion, d'organisation et de diffusion des ressources informationnelles devra changer sous peine de disparaitre.

Pour les uns, Google c'est l'accès à l'information à tous, pour d'autres, un géant qui ne fait pas de la dentelle

»Les avis sur Google, ce gigantesque moteur de recherche et de diffusion d'informations, varient selon le type d'interlocuteurs. «Bashing» chez certains,de la réserve chez d'autres et entre les deux un engouement certain qui nre se dément pas. Alors que le public et les populations ont adopté ce moteur de recherche dès son arrivée dans l'espace de l'internet, ce gigantesque répertoire de ressources informationnelles continue de susciter méfiance et crainte dans certains milieux notamment, celui des administrateurs de bibliothèques, comme en témoigne l'éditorial de Guylaine Beaudry dans le Bulletin de la Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec (178,janvier-avril 2009) intitulé Google, les bibliothèques et la revanche de la cigale sur la fourmi.

Il ne se passe pas un jour sans que cette formidable entreprise créée par deux étudiants surdoués dans la jeune vingtaine de l'Université Standford en Californie à partir d'un fond modeste de 100 000$ offerte par Andy Bechtolsheim, un des fondateurs de Sun Microsystems, qui a crû au potentiel énorme de l'engin de recherche inventé par Larry Page et Sergey Brin ne fasse parler d'elle. Grâce par la suite à une mise de fonds de 1 million de dollars recueillis auprès de quelques amis et des parents, la société Google Inc.* le 7 septembre 1998, est devenue une immense entreprise d'hébergement, de stockage et diffusion de l'information et des connaissances. Sa valeur en bourse tourne autour de des 200 milliards de dollars américains avec plus de 20 000 employés à travers le monde et les revenus rapportés en 2007 sont de 7 milliards de dollars continue de susciter la contreverse et de causer des maux de tête aux administrateurs des fonds publics.

Des entrepreneurs et non des gestionnaires

Si avant de se mettre à numériser les ressources des institutions comme Standford University, University of Michigan, New York Public Library (la plus grande bibliothèque publique dans le monde), Oxford University (une des plus vieilles et des riches bibliothèques universiatires dans le monde) Bayerrische Staatsbibliothek et la Bibliothèque municipale de Lyon, Google «n'avait pas un seul livre à mettre en ligne», dixit Mme Beaudry, c'est parce que les fondateurs de Google ne font pas partie du groupe des administrateurs de services publics. Les fondateurs de Google ont créé leur emploi et s'ils partent avec un million de longueurs d'avance sur d'autres organismes, c'est parce que les outils que Google a créé pour indexer, référencer, organiser, diffuser, numériser les ressources sont plus performants, plus novateurs, bref meilleurs que d'autres. Et si malgré sa très courte et très brillante histoire, des administrateurs de grandes bibliothèques lui ont confié leurs trésors à conserver et numériser, c'est justement parce que ces administrateurs, qui ne sont sûrement pas des imbéciles non plus, ont jugé bon de le faire faire par Google...quoiqu'en pensent certains administrateurs et je fais référence ici à la l'épître «La BAnQ ne prend pas les mauvais conseils»)de Mme Lise Bissonnette, pdg de la BAnQ qui a vilipendé en des termes les plus virulents M. Guy Laflèche, professeur à l'UdeM qui a eu «l'insigne audace » de se plaindre que les fonds patrimoniaux de la BAnQ ne soient numérisés par Google.

Google va très vite, cent mille fois plus vite que n'importe quel autre organisme public. Mais quel organisme public au Québec pourrait prendre le risque d'investir une telle fortune dans la numérisation des fonds? Je ne prendrai pas la défense de Google, pour la simple raison que je ne crois pas qu'ils ont besoin de qui que ce soit pour le faire...Depuis le temps que leur caravane avance, imperturbable aux bruits ambiants. Mais laisser entendre comme la présidente de la Corpo que Google est en train voler les ressources des bibliothèques est nettement exagéré, voire malhonnête intellectuellement.

C'est pourquoi j'aime mieux l'article de Robert Darnton, un grand historien, professeur à l’université Carl H. Pforzheimer, directeur de la bibliothèque de Harvard qui n'est pas tout à fait chaud à l'idée que Google diffuse toutes les richesses des bibliothèques. Il a d'ailleurs refusé de faire numériser sa belle collection patrimoniale par Google. Son article est bien dosé, bien écrit, sans mauvaise foi, l'auteur a su se garder une petite gêne qui est tout à son honneur d'intellectuel et d'homme de lettres qui n'a pas besoin de se faire du capital politique pour mousser sa carrière. Dans cet éloquent article portant le titre Google & the future of books, publié par le «New York Review of Books » du 12 février 2009 , traduit en français dans le mensuel français, le Monde diplomatique, sous le titre de La bibliothèque universelle, de Voltaire à Google , l'auteur a eu l'honnêteté de rappeler que Google toujours été clair dans la poursuite de ses objectifs avec sa une mission proclamée: donner l'accès à l'information au plus grand nombre de personnes possible, sans toutefois vouloir détenir de monopole: (traduction libre «Google is not a guild, and it did not set out to create a monopoly»). Il ajoute que rien n'empêche les organisations et les institutions publiques et la Bibliothèque du Congrès de s'unir pour créer une sorte bibliothèque nationale numérique (National Digital Library), l'équivalent contemporain de la Bibliothèque d'Alexandrie. Mais, «pendant que les autorités publiques dormaient au volant», Google a pris l'initiative. Il n'a pas cherché à savoir s'il peut le faire ou non, il a pris les devants, il n'est pas allé en cour, il est allé en affaires, numérisant les livres qu'on lui a confiés. Et il a numérisé les livres des bibliothèques de façon si efficace que cela a suscité le besoin chez d'autres de partager avec lui les bénéfices de l'affaire». Traduction libre: «While the public authorities slept, Google took the initiatives. It did not seek to settle its affairs in court, It went into business, scanning books in libaries; it scanned them so effectively as to arouse the appetite of others for a share in the potential profits».

Ni cigale ni fourmi mais un problème de conservation et de diffusion

Google héberge et numérise gratuitement des ressources qui, autrement seraient restées, au mieux sur les rayons des sous sols de bibliothèques, et qui se seraient dégradées à la longue. Ce ne sont pas toutes des ressources patrimoniales mais des oeuvres parfois rares, fragiles qui méritent d'être connues et conservées. Des organismes qui le peuvent ont payé pour faire numériser leurs ressources patrimoniales et de les offrir en accès libre à l'intérieur de leurs institutions et sur leur serveur. Certaines des plus grandes bibliothèques et institutions américaines dont la Boston Public Library, le Smithsonian Institution, la Library of Congress mettent en ligne à grand frais leurs ressources patrimoniales* et les diffusent sur leurs sites. Mais cela suppose des reins solides que toutes ne possèdent pas. Il y a d'autres options comme le regroupement en consortium, par exemple. C'est ce qu'ont fait les dix-neuf bibliothèques universitaires et de recherche de la Nouvelle-Angleterre qui ont utilisé des solutions comme celle offerte parOpen Content Alliance.Bref, tout le monde peut faire concurrence à Google.

Les ressources acquises par les bibliothèques sur les fonds publics sont destinées à être consultées et combien de trésors sont-ils encore enfouis dans les cavernes d'Ali Baba faute d'une diffusion et d'une exploitation adéquates? Mme Beaudry parle très souvent de la valeur économique du savoir, elle qui travaille dans un milieu universitaire doit savoir que toutes ses richesses dormantes pénalisent des générations entières du fruit du travail des chercheurs et de la culture universelle accumulées, entreposées à grands frais, privant leurs auteurs et éditeurs de la reconnaissance sociale et des redevances versées grâce à la consultation de leurs travaux C'est feindre aussi d'ignorer la logique d'affaire qui dicte le fonctionnement d'une entreprise non subventionnée par les fonds publics comme Google.

Copie digitale et copie imprimée

La diffusion passe maintenant par l'accès en ligne. La copie digitale est maintenant de plus en plus indissociable de l'imprimée. À l'heure actuelle, des éditeurs font des copies digitales de leurs productions et c'est ce qui est en train de se faire dans plusieurs endroits. (« Meanwhile, the settlement provides absolutely no barrier to publishers providing their own digital copies, and this is in fact happening.») C'est ce que fait Safari Books Online dans sa propre maison d'édition où pour tous les ouvrages de la maison, on offre une copie digitale et une copie imprimée avec deux numéros de ISBN différents, incluant des ouvrages d'autres éditeurs télédéchargeables sur le site de la maison en format pdf, mobi, and epub et disponibles à partir des canaux de livres électroniques comme Amazon's Kindle, Stanza, et iPhone. Dans le monde de l’édition savante, des bibliothèques universitaires comme celles de l’Université du Michigan passent d’un modèle centré sur l’électronique et de plus en plus la diffusion des publications savantes sera essentiellement en format électronique, ainsi ils n’imprimeront plus d’emblée leurs publications mais offriront l’impression sur demande seulement. L'internet a changé le paradigme de la diffusion du savoir.

Les cavernes d'Ali Baba non exploitées

Que reproche-t-on à Google exactement? De n'avoir pas n'a pas mis des gants blancs pour faire sa place dans l'espace numérique? De n'avoir pas demandé la permission des bibliothécaires avant de numériser les ouvrages que des bibliothèques lui ont offert de numériser? D'avoir donné l'accès et d'avoir diffusé des ressources qui, autrement auraient été perdues, ignorées et oubliées? Dire que Google mange la laine sur le dos des bibliothèques est faux. Les obstacles viennent surtout de l'incapacité financière des organismes à dépenser de gros montants d'argent alloués par les bailleurs de fonds aux bonnes places:(«The barrier has always been the willingness to spend a lot of money for little return; the settlement doesn't change that.»). Google a dévancé et répondu aux besoins du public en mettant en ligne des ounvrages et cela a permis à mettre en valeur d'autres bases et d'autres ressources. Ses revenus viennent des millards de recherches et de visites effectuées quotidiennement sur son portail... et des milliards de revenus publicitaires qui ont suivi et c'est avec ça que Google fait son argent. Ce qui lui a permis d'investir encore plus dans le développement et la technologie et d'avancer encore plus et de numériser si bien, si vite et si efficacement les millions de ressources que des bibliothèques lui ont confiées.

Mais Google a bon dos. À ceux qui veulent faire porter sur Google le poids de leur insuffisance, je suggère encore la lecture de l'article que T. O'Reilly a écrit en réplique à Robert Dartnon, T. O'Reilly, dans Competition in the eBook Market
traduit en français par V. Clayssen sous le titre Concurrence sur le marché du livre numérique.

La réplique à Darnton: non au monopole de l'État

Timothy O'Reilly* mentionne les recommandations que le professeur James Grimmelman a émis pour encadrer l'entente Google Book Search de Novembre 2008 . Comme cet expert en droits sur la propriété intellectuelle, O'Reilly pense que la proposition de Darnton de laisser aux mains des autorités publiques le soin de faire appel à un consortium d'éditeurs pour prendre en charge le numérisation des ouvrages, n'est pas sans risque pour la liberté d'expression et la démocratie et nuisble pour la concurrence. Car toutes les administrations ne sont pas neutres et tous les gouvernements ne sont pas nécessairement démocratiques (Google est régulièrement censuré en Chine par exemple) sans parler que ce monopole risque de tuer la compétition ou la concurrence.(« I'd be far more worried about Darnton's wished-for utopia, in which the government had funded the equivalent, mandating that all publishers participate. That might well have nipped the competitive ebook landscape in the bud. »). Alors, honnêtement, si des bibliothèques ont laissé échappé le ballon (pardon, le fromage) entre les pattes de Google, à qui en vouloir? (Looking back over the course of digitalization from the 1990s, we now can see that we miss a great opportunity»).

On peut certainement pas dire qu'on ne l'a pas vu venir. Pour toutes sortes de raisons, on aurait pu faire mieux. Toutefois, il n'est pas minuit moins cinq du tout pour les bibliothèques et l'appel aux barricades de madame Beaudry, en l'occurence le cri: «Bibliothèques du monde entier, unissez-vous», qu'elle a emprunté d'ailleurs à Alex Beam (il fallait le dire dans votre article, madame)est alarmiste pour rien. Les bibliothèques ne sont pas toutes au même niveau. Certaines bibliothèques universitaires ont commencé à retrousser les manches, amélioré leur portail, leur catalogue, commencé à se mettre au web 2.0 et mis en ligne, pour le grand bonheur de leurs usagers, les ouvrages les plus importants de leurs fonds dont leurs ressources patrimonales ainsi que les travaux, les mémoires et les thèses de la communauté. D'autres malheureusement peinent et piétinent sur place mais à qui en vouloir? À Google?

Le corbeau et le renard

La littérature des grands peuples a souvent recours à l'anthropomorphisme pour peindre les travers de leur société et de leurs concitoyens. Les grands sages de l'humanité dont Jean de la Fontaine fait partie ont en fait usage abondamment pour tracer les parallèlles entre le monde des bêtes et le monde des hommes. Comme la plupart d'entre nous, j'adore les fables de la Fontaine. Ses vers m'ont aidée à aimer mes cours de français à l'école primaire. Ils m'ont guidée dans mes premières réflexions sur les hommes, les bêtes et les évènements de la vie et du monde en général. Plus tard, quand j'eus à porter un jugement sur une situation ou à émettre une réflexion sur une personne, comme bien d'autres, j'aime me référer aux propos et aux personnages des fables de ce grand humaniste pour y trouver mes repères.

À la présidente de la Corpo qui a comparé Google à la cigale et les bibliothèques à la fourmi de la fable, j'ai envie de lui dire de relire La Fontaine. Pour ma part, je serai plutôt portée à comparer Google au renard et les bibliothèques au corbeau qui a échappé son fromage (Oups!) pour regarder son beau plumage. Toutefois, pour rester dans le domaine de la littérature des fables, je préfère encore celle-ci qu'un bibliothécaire et une collègue universitaire m'ont fait suivre récemment. Cette fable parle de la fourmi et du lion. Elle n'est pas de la Fontaine, mais elle s'en rapproche par son humour acidulé.






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*À lire: La volée de bois vert envoyée par la PDG de la BAnQ en réponse à l'article La BNQ à l'ère de Google, (Le Devoir 2 novembre 2007) du professeur Guy Laflèche de l'UdeM sur la question de numérisation. Mme Bissonnette, haut fonctionnaire et administratrice de services public répond à un usager, ici M. Laflèche qui reprochait à la BAnQ de ne pas faire numériser ses fonds patrimoniaux. Voici un extrait de la réponse (assez décoiffante , merci, qui servira de leçon à qui ose donner des conseils aux administrateurs) publiée dans le Devoir ÉDITORIAL, jeudi, 8 novembre 2007, p. a6 , Libre-Opinion. Sous le titre BAnQ ne prend pas les mauvais conseils de Lise Bissonnette a écrit: «Sur les conseils de sa maman qu'il cite à répétition (Le Devoir, 2 novembre 2007) de "La BNQ à l'ère de Google",: « Un professeur au département des littératures de langue française de l'Université de Montréal nous reproche de ne pas nous joindre aux quelques bibliothèques universitaires et patrimoniales qui ont accepté de confier la numérisation de leurs livres anciens au géant américain Google. Guy Laflèche a tout faux en ces matières qui ne sont visiblement pas les siennes; j'invite ici sa maman à lui donner de nouveaux et plus judicieux». Pour lire l'article , allez dans Google et faites une recherche à Lise Bissonnette.

Timothy O'Reilly est le fondateur et président directeur général O'Reilly Media, Inc., considéré par les experts du milieu comme un des meilleurs éditeurs de livres électriniques dans le monde. O'Reilly Media est un leader dans le domaine des technologies émergentes dont le WEB 2.0.

Google, les bibliothèques et la revanche de la cigale sur la fourmi Bulletin Corpoclip n.178,janvier-avril 2009 . Editorial de Guylaine Beaudry
ALA, FINRA make unemployment resource available to public libraries
Un leadership inspirant: James H. Billington, le bibliothécaire du Congrès