vendredi 14 décembre 2007

« Les pensées des hommes sont devenues un objet important du commerce »

Voltaire, cité par Emmanuel Pierrat dans La guerre des copyrights ne croyait peut-être pas si bien dire quand il affirmait en 1733: «les pensées des hommes sont devenues un objet important du commerce». De nos jours, avec la globalisation des marchés, la revendication des droits immatériels a pris une ampleur planétaire et le monde s’est transformé en un champ de bataille où s’affrontent «les droits de l’usager ou du consommateur et les droits des créateurs». Au nom de principes différents, les conflits ont atteint une virulence et une fréquence telles qu'elles conduisent à des affrontements entre, non seulement les personnes et les collectivités, mais entre les sociétés et les pays, ceux du Nord qui revendiquent la propriété de la création et ceux du Sud qui réclament au nom de l'équité et la justice le droit à l'utilisation et à l'exploitation de ces créations. Pris entre ces deux légitimités, pas facile pour les juristes de prendre partie entre les «nouveaux propriétaires» de plus en plus nombreux et les contrefacteurs ou concurrents qui pullulent. Les copyrights, présents dans tous les secteurs de l'activité humaine touchent tous les aspects de la création et si leurs applications protègent les auteurs des créations des effets de la contrefaçon qui coûtent des centaines de milliers d'emplois chaque année dans le pays développés, ils privent par contre d'autres individus au droit légitime à l'accès à l'information et au savoir.

À qui appartient le trèfle à quatre feuilles?

Van Cleef & Arpels , les célèbres joailliers parisiens poursuivent la designer Heidi Klum pour avoir reproduit un médaillon sur le modèle de « leur trèfle à quatre feuilles» . Ce à quoi, Klum réplique que le motif de ce trèfle à quatre feuilles est déjà depuis plusieurs siècles sur le dôme de la cathédrale de Milan. Les fragrances sont désormais protégées par des droits d'auteur, indépendamment du contenu où elles sont entreposées , et si jamais Deutsche Telekom et la société de boissons Red Bull gagnent leur procès pour garder l'exclusivité des teintes de leurs logos, des couleurs déposées sur leurs annonces ne seront plus du domaine public. (Cyberpresse: «Et si les couleurs nous appartenaient: libérez le magenta» La Presse, 16 novembre 2007).

Pour les juristes, le droit à l'image pour l'auteur qui diffère d'un pays à l'autre est un vrai «trouble-fête». En France, en cette matière Emmanuel Pierrat parle de «vide juridique» tandis qu'en Californie, la loi reconnait aux héritiers un droit à l'image pendant une durée de cinquante ans à compter du décès. La propriété intellectuelle s'étend jusqu'aux concepts intellectuels et le savoir est privatisé. Dans le domaine de l'archivistique, à Montréal, en 1993, Solutions Documentaires Gestar, une compagnie privée qui offre des services de Gestion Intrégrée des Documents (GID) et de gestion de contenu (CMS) a fait enregistrer comme marques de commerce les expressions Subdivision uniforme®, Subdivision spécifique®, Subdivision nominative®, Documentik®, Classification universelle des documents administratifs®, Méthodologie CUDAD® et Codification numérique continue®. Depuis cette date, leur utilisation est interdite dans tout autre produit commercial.

Des revendications à l'accès «aux nouvelles semences, aux vaccins, aux traitements médicaux, aux publications savantes» par les pays du tiers monde, en passant par celle de la reconnaissance du droit à la «propriété des peuples aborigènes sur leur folklore», la course au copyright a atteint une dimension telle que Pierrat se demande si ce n'est pas le début de «la fin du domaine public», aidée déjà par «l'allongement par le législateur des durées de protection».

En Californie, la grève des scénaristes regroupés dans le syndicat des Writers Guild of America qui perdure depuis cet automne a pour source la revendication, au nom des droits de propriété intellectuelle des scénaristes, à une partie des redevances sur les revenus très lucratifs générés par la diffusion sur l'internet, sur les cellulaires et dans les autres médias , ainsi que sur les produits dérivés (DVD, etc...) des créations artistiques auxquelles ils ont participé. Ils sont rejoints dans cette «cause commune» par les ...réalisateurs québécois descendus dans la rue pour revendiquer au nom du même droit, une part du lucratif marché des produits dérivés ( «À qui appartient cet enfant?» de Nathalie Petrowsky dans La Presse , Cahier Arts et spectacles du 12 décembre 2007). Si les droits d'auteur des créateurs des tableaux vivants, si présents dans l'art contemporain sont reconnus, pourquoi pas les droits des réalisateurs?. On n'en finit plus comme vous pouvez le voir.

C’est bien connu, au royaume du copyright, le flou artistique est de rigueur. Et ce n'est pas demain que le débat sur le droit d'auteur se réglera. La situation se corse avec l'émergence de l'internet qui a «bon dos», selon Pierrat étant donné que le piratage a toujours existé. L'auteur voit dans ce phénomène l'émergence d'une nouvelle valeur car il est clair que cette course effrénée à la protection des droits immatériels s'exerce «au détriment d'une foule de principes essentiels».

Emmanuel Pierrat est avocat et spécialiste dans les domaines touchant aux droits d'auteur, aux droits de l'information et de la propriété intellectuelle . En tant que romancier, il connait les deux côtés de la médaille. Sur le même sujet, nous lui devons entre autres Le bonheur de vivre en enfer publié dans la rubrique Lus et notés pour vous du mois de décembre 2005.

mardi 4 décembre 2007

Libre mais privé de liberté ...d'expression

«Une nouvelle morale juridique française en matière d'écriture». Tels sont les propos d'Emmanuel Pierrat (Livres Hebdo, 26 octobre 2007)commentant la loi du 9 mars 2004 qui interdit, en France, la publication d'un livre, non pas en raison de ce qu'il contient, mais «en raison de celui qui l'écrit». Remis en liberté au début de cette année après avoir purgé une peine de prison de quatre ans, soit la moitié de la peine imposée pour avoir frappé mortellement sa compagne Marie Trintignant au cours d'une dispute, à Vilnius en Lituanie en juillet 2003, Bertrand Cantat, le leader du groupe Noir Désir se voit dorénavant interdire de «diffuser tout ouvrage ou oeuvre audiovisuelle dont il serait l'auteur ou le coauteur qui porterait sur l'infraction commise et d'intervenir publiquement en rapport avec cette infraction».

La loi Perben II qui limite la liberté d'expression, sacro-sainte dans le paysage juridique de l'hexagone et en vigueur depuis la fin de l'Ancien Régime, se veut une disposition s'incrivant dans la ligne droite du principe moral qui vise à ménager des victimes et de leurs familles. L'auteur du crime ne pourra plus bénéficier du droit à la liberté d'expression pour «clamer son innocence, dénoncer les conditions de détention, expliquer son geste ...voire même s'excuser». Cette loi qui prive l'individu du droit de publier est considérée par certains comme un recul en matière de liberté d'expression.

Aux États-unis, pour ménager les familles des victimes, indignées de voir certains criminels s'enrichir des fruits de leur méfaits, seuls les droits d'auteur sont confisqués mais non le droit de s'exprimer. Les redevances de ces droits confisqués peuvent être aussi versées en compensations aux familles des victimes.

Bref, en droits d'auteur, dorénavant le crime devra moins payer.

15 milliards pour Facebook?

Les jeunes de trente-cinq ans et moins connaissent tous Facebook. Ce nouveau moyen de communication, créé par des diplômés de Harvard a été très vite adopté par les étudiants des universités nord-américaines. Aux HEC à Montréal, 75 % des étudiants y sont abonnés et y passent au moins une heure par jour en moyenne pour se tenir au courant de la vie universitaire, pour relater leurs expériences universitaires ou personnelles, pour parler de leurs intérêts et de leurs projets. À la différence de MySpace dont la clientèle est plus jeune, cette liste d'envoi a la particularité de regrouper des jeunes adultes, diplômés d'universités ou en voie de l'être avec un potentiel de revenus intéressants donc bons consommateurs en perspective. En plus d'être une mine d'or pour les employeurs, à qui elle fait sauver énormément de temps car ils peuvent y trouver le profil de leur choix, avec couleurs des cheveux et des yeux en sus, cette liste qui permet d'échanger les photos et la musique et de développer des multiples applications est une ressource fort convoitée par les entreprises en raison de son marché segmenté. C'est aussi l'endroit virtuel à la mode pour renouer ou se faire des contacts ou pour établir son réseau social.

Mais cette mine d'or vaut-elle vraiment 15 milliards?

Selon Pascal François, professeur agrégé en finance aux HEC, dans une entrevue avec Bruno Asseo (Journal officiel des étudiants et des étudiantes de HEC Montréal du 29 novembre 2007, vol.51, n.5, p.3) ce chiffre est une extrapolation «dangereuse», car on est arrivé à ce chiffre «en calculant ce montant à partir des 246 millions de dollars qui représentent les 1,6% des parts de Facebook achetées par Microsoft». Or, il faut noter qu'on a affaire à une entreprise privée et «la théorie financière est moins bien armée pour évaluer ce genre d'entreprise, à cause du peu d'informations disponibles». En fait, Facebook affiche un revenu de 100 millions de dollars en 2006 et on estime que ses revenus seront de 200 millions en 2007 . On est donc loin du chiffre de 15 milliards. Pascal François, pense «qu'un multiple de 10» serait plus raisonnable, car «en faisant confiance aux 200 millions de chiffres d'affaires, on arrive à 2 milliards et non 15 milliards».
Néanmoins, même si elle est surévaluée, l'entreprise a un potentiel de croissance énorme et d'autre part les 15 milliards constituent un montant virtuel. Tant qu'il n'y aura pas d'introduction boursière, l'évaluation de 15 milliards restera de l'ordre du «wishful thinking» et cette surenchère ne risque pas d'avoir de graves conséquences.
Dernière nouvelle: le site Facebook sera bientôt annexé au moteur de recherche du géant Google. Ce qui augmentera considérablement sa visibilité et son potentiel de développement des applications subséquentes. Mais toute médaille a son revers et jeunes internautes, attention! Big Brother n'st pas loin et évitez d'y poster les photos de votre dernière soirée bien arrosée de célibataire.
Autre nouvelle encore: Dans le cahier Affaires de la Presse du 5 décembre 2007, nous apprennons que deux entreprises montréalaises bOK et Babytel se préparent à apporter la téléphonie sur Face Book. bOK développe une application qui permet de faire des appels gratuits sur téléphone cellulaire en cliquant sur le nom de la personne qu'on veut rejoindre. Le serveur bOk se charge de faire l'appel. Le logiciel est crée par un étudiant de McGill de 19 ans , Amin Mirzaee.

par My Loan Duong, MLS, BBSI