Voltaire, cité par Emmanuel Pierrat dans La guerre des copyrights ne croyait peut-être pas si bien dire quand il affirmait en 1733: «les pensées des hommes sont devenues un objet important du commerce». De nos jours, avec la globalisation des marchés, la revendication des droits immatériels a pris une ampleur planétaire et le monde s’est transformé en un champ de bataille où s’affrontent «les droits de l’usager ou du consommateur et les droits des créateurs». Au nom de principes différents, les conflits ont atteint une virulence et une fréquence telles qu'elles conduisent à des affrontements entre, non seulement les personnes et les collectivités, mais entre les sociétés et les pays, ceux du Nord qui revendiquent la propriété de la création et ceux du Sud qui réclament au nom de l'équité et la justice le droit à l'utilisation et à l'exploitation de ces créations. Pris entre ces deux légitimités, pas facile pour les juristes de prendre partie entre les «nouveaux propriétaires» de plus en plus nombreux et les contrefacteurs ou concurrents qui pullulent. Les copyrights, présents dans tous les secteurs de l'activité humaine touchent tous les aspects de la création et si leurs applications protègent les auteurs des créations des effets de la contrefaçon qui coûtent des centaines de milliers d'emplois chaque année dans le pays développés, ils privent par contre d'autres individus au droit légitime à l'accès à l'information et au savoir.
À qui appartient le trèfle à quatre feuilles?
Van Cleef & Arpels , les célèbres joailliers parisiens poursuivent la designer Heidi Klum pour avoir reproduit un médaillon sur le modèle de « leur trèfle à quatre feuilles» . Ce à quoi, Klum réplique que le motif de ce trèfle à quatre feuilles est déjà depuis plusieurs siècles sur le dôme de la cathédrale de Milan. Les fragrances sont désormais protégées par des droits d'auteur, indépendamment du contenu où elles sont entreposées , et si jamais Deutsche Telekom et la société de boissons Red Bull gagnent leur procès pour garder l'exclusivité des teintes de leurs logos, des couleurs déposées sur leurs annonces ne seront plus du domaine public. (Cyberpresse: «Et si les couleurs nous appartenaient: libérez le magenta» La Presse, 16 novembre 2007).
Pour les juristes, le droit à l'image pour l'auteur qui diffère d'un pays à l'autre est un vrai «trouble-fête». En France, en cette matière Emmanuel Pierrat parle de «vide juridique» tandis qu'en Californie, la loi reconnait aux héritiers un droit à l'image pendant une durée de cinquante ans à compter du décès. La propriété intellectuelle s'étend jusqu'aux concepts intellectuels et le savoir est privatisé. Dans le domaine de l'archivistique, à Montréal, en 1993, Solutions Documentaires Gestar, une compagnie privée qui offre des services de Gestion Intrégrée des Documents (GID) et de gestion de contenu (CMS) a fait enregistrer comme marques de commerce les expressions Subdivision uniforme®, Subdivision spécifique®, Subdivision nominative®, Documentik®, Classification universelle des documents administratifs®, Méthodologie CUDAD® et Codification numérique continue®. Depuis cette date, leur utilisation est interdite dans tout autre produit commercial.
Des revendications à l'accès «aux nouvelles semences, aux vaccins, aux traitements médicaux, aux publications savantes» par les pays du tiers monde, en passant par celle de la reconnaissance du droit à la «propriété des peuples aborigènes sur leur folklore», la course au copyright a atteint une dimension telle que Pierrat se demande si ce n'est pas le début de «la fin du domaine public», aidée déjà par «l'allongement par le législateur des durées de protection».
En Californie, la grève des scénaristes regroupés dans le syndicat des Writers Guild of America qui perdure depuis cet automne a pour source la revendication, au nom des droits de propriété intellectuelle des scénaristes, à une partie des redevances sur les revenus très lucratifs générés par la diffusion sur l'internet, sur les cellulaires et dans les autres médias , ainsi que sur les produits dérivés (DVD, etc...) des créations artistiques auxquelles ils ont participé. Ils sont rejoints dans cette «cause commune» par les ...réalisateurs québécois descendus dans la rue pour revendiquer au nom du même droit, une part du lucratif marché des produits dérivés ( «À qui appartient cet enfant?» de Nathalie Petrowsky dans La Presse , Cahier Arts et spectacles du 12 décembre 2007). Si les droits d'auteur des créateurs des tableaux vivants, si présents dans l'art contemporain sont reconnus, pourquoi pas les droits des réalisateurs?. On n'en finit plus comme vous pouvez le voir.
C’est bien connu, au royaume du copyright, le flou artistique est de rigueur. Et ce n'est pas demain que le débat sur le droit d'auteur se réglera. La situation se corse avec l'émergence de l'internet qui a «bon dos», selon Pierrat étant donné que le piratage a toujours existé. L'auteur voit dans ce phénomène l'émergence d'une nouvelle valeur car il est clair que cette course effrénée à la protection des droits immatériels s'exerce «au détriment d'une foule de principes essentiels».
Emmanuel Pierrat est avocat et spécialiste dans les domaines touchant aux droits d'auteur, aux droits de l'information et de la propriété intellectuelle . En tant que romancier, il connait les deux côtés de la médaille. Sur le même sujet, nous lui devons entre autres Le bonheur de vivre en enfer publié dans la rubrique Lus et notés pour vous du mois de décembre 2005.
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